L’histoire d’une vocation religieuse exceptionnelle et
pluridimensionnelle

Sœur Martine, née Emilienne Ngo Bayongbog est avant tout une valeureuse religieuse, à la posture spirituelle, intellectuelle et humaine extraordinaire voire exemplaire. La célébration de ses cinquante ans d’Amour indéfectible avec Dieu au sein de la Congrégation des Sœurs Servantes de Marie traduit inéluctablement l’histoire d’un appel de Dieu et d’une acception pleine et entière de sa servante.

Cette acceptation de la Servante Martine trouve son leitmotiv fondamental dans cette phrase du psaume 80: « Seigneur je chanterai éternellement tes miséricordes ». Et pratiquement, à travers ses multiples actions et œuvres, ce leitmotiv biblique de Sœur Martine se combine parfaitement avec ces lignes de Sa Sainteté le Papa Jean Paul II: « Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné en Amour ». Sur cette toile de fond, qui est en réalité Sœur Martine ? Qu’avons-nous à recevoir personnellement, chrétiennement, humainement de ses 50 ans de vie religieuse ?

Reveil et trajectoire de la vocation de Sœur Martine


• L’appel de Dieu et l’acceptation de sa servante

Fille aînée de Michel Bayongbog et de Martine Ngo Bamal, Emilienne naît à Nko Logmaï dans une structure familiale où elle est initiée très tôt à la vie chrétienne. La foi dit-elle « était mise au fond de mon cœur dès ma plus tendre enfance ». Elle était parvenue par exemple à connaître par cœur presque tout le petit catéchisme en sa langue maternelle bassa. Enfant aimable, pieuse et intelligente, elle reçoit à dix ans, sa première communion à la Mission catholique de Log Bikoï située à deux jours de marche à pied de la case familiale. Elle ignore cependant tout de ce genre de vie spéciale qu’est la vie religieuse.

Au cours préparatoire première année, avec l’aval et la bénédiction de ses parents, Emilienne fréquente assidûment l’école primaire Saint Joseph de Bisseng. C’est là que pour la première fois, elle entend les Abbés Nicolas Ntamag et Maximilien Ebembe parler aux élèves de cette « vie où l’on se donne à Dieu sans se marier comme Sainte Thérèse de l’enfant Jésus ». Sa curiosité de savoir davantage sur la vie de Sainte Thérèse de l’enfant Jésus la pousse non seulement à toutes sortes d’imaginations et représentations puériles mais bien plus, à être habitée par un attrait mystérieux et irrésistible pour la vie des « boda ba djob », qui veut dire les « femmes de Dieu ». Lorsque l’Abbé Ntamag demande aux élèves qui sont intéressées par un tel style de vie, elle est l’une des premières à s’inscrire sans même avoir demandé le consentement de ses parents. Heureusement, lorsqu’elle leur révèle sa décision, ils sont contents et préparent avec amour son départ pour le pré-postulat Sainte Thérèse d’Eseka.

Le 25 janvier 1952 au petit matin elle y est admise et passe trois années de formation à la vie religieuse et intellectuelle. Le 05 août 1955, Emilienne fait son entrée au Postulat à Japoma. Le 08 septembre 1956, sous l’impulsion de la grâce et de son renoncement au « monde », elle revêt l’habit religieux sous le nom de Sœur Martine. Elle réalise enfin son désir de s’unir à Dieu pour jouir des délices célestes. Son « je veux» cède à « Dieu le veut aussi ». Dès lors, la volonté de Sœur Martine se transforme dans les flammes de l’amour en l’obéissance remarquable aux vouloirs de Dieu. Le 08 septembre 1958, une dimension supplémentaire s’ouvre à la mesure de son alliance d’amour inébranlable avec l’Appelant. Sœur Martine prononce ses premiers vœux en compagnies des Sœurs Brigitte et Gertrude Thérèse. Sa première obédience est à New-Belle au sein de la communauté des Sœurs Spiritaines où elle doit être initiée à l’éducation d’enfants des écoles maternelles.

En septembre 1960, en pleine période de la décolonisation, Sœur Martine fait partie des pionnières de la Congrégation des Sœurs Servantes de Marie de Douala qui remplacent les Sœurs spiritaines à Eseka. La charge des Ecoles maternelles lui est confiée. En 1961, décelant en elle les talents pédagogiques et intellectuels exceptionnels pour l’encadrement des jeunes, ses Supérieurs l’envoient à Lyon en France pour y préparer le diplôme d’Etat d’éducatrice des jeunes. Au bout de deux ans de formation sérieuse et studieuse, elle obtient son diplôme avec distinction. En 1963, elle regagne la Communauté de New-Bell, sous la direction de sœur Marie-Joseph Eppetti, première Supérieure locale après le départ des Sœurs spiritaines. Directrice des Ecoles Maternelles, Sœur Martine poursuit également ses études secondaires avec le concours des jésuites du Collège Liberman.

Le Ier septembre 1968, confiante en son amour éternel à l’Appelant dans le mystère de la croix rédemptrice, elle fait ses vœux perpétuels à Bisseng. Pendant quatre ans, elle remplit sa fonction de Maîtresse des novices à Japoma. En 1978, avec mention, elle est diplômée en philosophie à l’Université des Sciences Humaines de Lille III en France. En dépit de son ardent désir d’offrir le premier Doctorat en philosophie à sa Congrégation, obéissante à ses supérieurs, elle quitte l’Europe et regagne sa famille religieuse. De 1978 à 1987 (?), elle assure et assume brillamment le rôle de Directrice du collège Chevreul à Douala, hérité des religieuses de Jésus Réparateur. L’efficacité de sa gestion et les excellents résultats scolaires de cet établissement se traduisent par son élargissement à des filières générales et techniques. En 1983, aimant plus intensément, plus généreusement et plus pratiquement Dieu, son Amour, Sœur Martine célèbre son jubilé d’argent à Douala en compagnie de Sœur Gertrude Thérèse.

En 1988 elle sollicite et obtient de ses Supérieurs, sa décharge de la direction du collège Chevreul. En 1989, bouleversée par la pauvreté temporelle et spirituelle des gens, elle fonde une œuvre à caractère sociale: l’Ermitage Saint Joseph à Nyala, PK10 grâce essentiellement aux donations de l’Etat belge et à la charité de ses amis d’ici et d’ailleurs. En quelques années, l’Ermitage Saint Joseph devient un espace où l’univers des impossibilités et capacités est possible. Cet élan d’amour charitable pour les marginaux, ce don inné pour le respect d’autrui confère à la Sœur Martine une posture de femme magnifique, « de mère Theresa locale ». Spontanément et affectueusement, certains enfants l’appellent maman sœur. En 2003, épuisée physiquement et psychiquement des 15 années de labeur sans répit, elle se retire de l’Ermitage et rejoint la Maison Mère. On ne saurait passer sous silence que, pendant douze années consécutives, Sœur Martine joue dans la Congrégation des Sœurs Servantes de Marie le rôle d’Assistante Générale du 6ème mandat et de conseillère générale du 7ème. Presqu’à la fin 2003, elle prend une année sabbatique en Europe et intègre le Monastère des Sœurs Bénédictines de l’Adoration Perpétuelle au Luxembourg pour se ressourcer spirituellement. Elle s’adonne tellement à l’oraison qu’il lui arrivait souvent de passer des nuits entières en prières comme le faisait jadis l’Abbé Saint Antoine et Sainte Rita. Ce séjour européen lui permet également de se spécialiser en catéchèse à l’Institut supérieur de Pastorale et de catéchèse de Lumen Vitae en Belgique. A son retour, elle rejoint la communauté Notre Dame de la Paix de Ndeido.

Et depuis, nommée catéchiste des lycées et Collèges Privés et Laïcs de l’archidiocèse de Douala, elle se consacre à sa mission pastorale par laquelle elle s’efforce d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus Christ. Et, parallèlement, elle continue à s’ouvrir sur les exclusions, aux malades dans les hôpitaux, aux prisonniers, en un mot, aux gens qui sont accablés par le poids de la vie et qui ne demandent qu’un peu de compassion pour la pauvreté de la condition humaine. En ce 16 août 2008, la « grand’ âme », l’Appelée fête ses Noces d’Or. Ce qui signifie explicitement ses 50 ans de « vie religieusement et exceptionnellement mariale » avec son Grand Amour, l’Appelant Dieu.

• Les mentors et compagnons de route spirituelle

Eprise de Dieu et habitée par l’amour et la présence du Christ, elle rencontre des personnes formidables qui vont promptement devenir ses pères et soutiens spirituels et intellectuels. Bien plus, ils sont de modèles de référence de persévérance, de bonté, de générosité susceptibles de lui servir de roc sur lequel elle s’appuie pendant les multiples et douloureuses épreuves qui ont traversé sa vie. Des feux Abbés Nicolas Ntamag, Monseigneur Thomas Mongo, en passant par Monseigneur Simon Tonyé, sans oublier le père Drappier (O.P.) et les Sœurs Claude et Odilia, Sœur Martine conserve encore et toujours une immense gratitude à leur égard.

L’enseignement de la vie religieuse de Sœur Martine


• Le don de soi

En parcourant les différentes étapes de la vie de Sœur Martine, on découvre une pluralité de dimensions tant dans un champ religico-conceptuel que pratique. Deux dimensions sont cependant essentielles et remarquables et peuvent stimuler singulièrement, les chrétiens, croyants ou pas dans leur vie quotidienne et sociale.

La première dimension, c’est le don de soi, qui, pour paraphraser le Pape Jean Paul II, n’est autre que la « civilisation de l’amour ». L’Amour. Cet amour désintéressé, dépouillé de toute considération matérielle et matérialiste est d’un bienfait positif qui livre l’âme à l’action de l’Esprit Saint affine et harmonise parallèlement nos cellules et significations spirituelles. Ce don de soi loin d’être une pesanteur devient plutôt un apprentissage intérieur et extérieur de l’être, de maîtrise de soi, d’affirmation de la liberté personnelle qui s’impose et ne se défend pas. Pour tout baptisé le don de soi est un signe d’engagement fort qui lui offre nécessairement la Miséricorde de Dieu. Pour les chrétiens, spécifiquement les catholiques, le don de soi, offre une lecture anthropologique de l’homme finalisé par la quête et la soif permanente du Bien. Et ce Bien ne s’accomplissant ici-bas qu’à travers des vertus morales, la fraternité évangélique de justice et de paix. Pour que Dieu ne soit pas uniquement sentimental, un essai de communication abstrait et vide de sens, il doit être accompagné de décision, de juste engagement dans la vie spirituelle et sociale. Si Dieu a introduit dans l’humanité la séparation du spirituel et du temporel, c’est là, à la lumière de la trajectoire de Sœur Martine un trésor d’amour dont chrétien, croyant, catholique ou pas, peuvent et doivent se pénétrer et se saisir. Par l’amour, à commencer donc par soi, et ensuite de notre relation vivante avec Dieu, tout par Lui et pour Lui et en Lui alors nous construisons les fondements solides, des points d’ancrages permettant à toute personne de se positionner comme sujet de sa vie et acteur de développement et cohésion morale de sa société, du peuple de Dieu.

• La philosophe humaniste

Femme de Dieu, d’esprit, Sœur Martine est également Femme de cœur et de tête. Elle fait partie de la toute première promotion de pré postulantes à être présentées à un examen officiel et à obtenir le C.E.P.E. Après sa formation scolaire de base au Cameroun, elle poursuit brillamment ses études supérieures et universitaires en France où elle obtient une maîtrise de philosophie à Lille. Partant, le récit de sa vie religieuse intègre également une seconde dimension essentielle qui est celle de la philosophie, de la sagesse humanisante et pragmatique. Prosaïquement, de nos manières d’être, de penser, de faire, d’agir dans nos relations mutuelles avec nos frères et sœurs en Christ. Dans son mémoire de fin d’étude consacré au concept du temps chez Bergson, on y décèle ses affinités, son appropriation philosophique et temporelle qui accorde une place importante à la personne, à la libération humaine, à l’évolution créatrice non seulement par le biais de l’éducation, de l’intériorisation des normes, valeurs et traditions sociales, mais bien plus, grâce à la méditation attentive, à la prière, à l’introspection de notre Moi supérieur.

Son œuvre sociale, l’Ermitage Saint Joseph, bien que répondant aux urgences de la société, et destinée principalement à l’éducation et formation des jeunes « paumés », révèle concrètement son engagement d’amour désintéressé, radical et volontaire pour Dieu incarné en l’humain. Cette maternité spirituelle, temporelle, effective, humaniste et humanitaire se traduit pour tous, chrétien ou non, en une utilisation consciente de nos dons, et aussi en une transmission de savoirs, de savoir faire autour des principes ou vertus d’actions efficaces qui sont chaque jour mis en épreuve sur le terrain de l’amour, de la fraternité, de la solidarité, de l’humilité envers les créatures de Dieu. D’emblée donc, si une créature de Dieu veut vivre et être aimé par Lui, elle se doit aussi d’aimer, de semer l’amour qui vivifie, qui éclaire. Pour les fidèles aux directives de Dieu et de l’Eglise et dont tout est voué au salut du monde, aimer son prochain comme Dieu nous aime et espérer en Lui créent des miracles et des lignes de fuite lumineuses.

En définitive, l’exceptionnel et magnifique parcours de 50 années de vie religieuse de Sœur Martine peut servir de grille de lecture singulière ou d’identification spirituelle, intellectuelle, humaine et ainsi de suite pouvant permettre à chacun de nous, d’accéder à une existence dynamique, complexe de la foi en Dieu. Nos pratiques de la fraternité évangélique, de la solidarité de destins communs engendrent indubitablement la formation d’humains, ensemble perdus et ensemble sauvés. Le salut ne se joue pas nécessairement dans l’appartenance à une institution mais in fine dans les gestes et conduites humains qui consistent à aimer inconditionnellement Dieu et Dieu fait Homme Jésus Christ et à le prouver par l’amour véritable à de prochain.

A moi, elle a toujours dit et répéter ceci: ma fille, si tu veux vivre et grandir dans la paix et la justice, tu dois d’abord « aimer Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme ». Ensuite, « ton prochain comme toi-même ». Et ensuite encore « semer l’espoir qui vivifie, illumine ». Tu verras en fin de compte que ce couple Amour-Espoir intimement lié produit immanquablement des lumières, des horizons des possibles et d’espérance.

Merci « Grand’âme », d’esprit, de tête et de cœur.

Gracieuse fête !

Martine C. Ngo Nyemb-Wisman